A l’approche de La Roche en Ardenne, la brume n’était pas encore détachée des cimes. Alors que la profondeur des vallons détourne mon attention de la route, au sommet de l’ultime lacet, j’aperçois Jean-Paul Moureau, prêt avec les chevaux dans le van. Après une demi-heure de route, nous arrivons dans les parcelles où les grumes d’épicéas attendent le débusquage.

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Pirou et Jolie au sortir d’un profond canal de drainage.

Une multitude d’embuches

« Ici on est dans de la Fagne » m’indique Jean-Paul, avant de me rappeler la géographie des lieux : « On est proche des Hautes Fagnes, à une quarantaine de kilomètres de la Baraque Michel ». Située au Nord-Est de La Roche en Ardenne, le chantier de débardage au cheval se situe en effet entre la Fagne et le parc naturel des Hautes Fagnes où des zones humides et marécageuses se sont bien remplies d’eau en cet été pourri.

Sur ce sol imbibé d’eau, les épicéas se développent rapidement et majestueusement. Pour la troisième fois, le propriétaire des parcelles boisées a réitéré sa confiance à Jean-Paul Moureau pour sortir les grumes de troisième éclaircie tout en garantissant l’intégrité du sol et des racines apparentes des arbres sur pied.

« Auparavant, le bois était évacué au porteur qui pouvait évoluer entre deux rangées d’épicéas prévues pour le dégagement sur plusieurs centaines de mètres » m’explique Jean-Paul. Cette technique fut abandonnée car ce mode de transport, même équipé de chenilles souples, déformait le sol humide par de profondes ornières et arrachait les racines maîtresses apparentes des arbres de rangée. Ainsi affaiblis, les épicéas furent rapidement colonisés par le scolyte, meurtrissant les arbres et provoquant une perte importante pour le propriétaire des lieux.

Les parcelles étant de surcroit classées en zone « Natura 2000 », une technique de débusquage davantage respectueuse du sol et de la végétation devait être trouvée. Mais les embuches sont nombreuses : Le terrain est spongieux et quadrillé de fossés parfois profonds de plus d’un mètre de haut et les souches apparentes ralentissent la progression. Les arbres non abattus ne sont pas élagués afin de dissuader les cervidés de décoller les écorces en guise de nourriture hivernale. Ces branches qu’il faut contourner peuvent érafler au passage hommes et chevaux.

Le choix du débardage au cheval fut rapidement justifié et dans ces conditions de travail difficiles, la longue expérience et la réputation de Jean-Paul Moureau furent un gage d’excellence aux yeux du donneur d’ordre.

Exigence et respect

Jean-Paul n’est pas seulement débardeur au cheval. Il est éleveur et prépare les jeunes chevaux de trait aux diverses utilisations, aux guides ou au cordeau. Il pratique également l’attelage. Il fait partie des « Ardennais Belges », une association qui défend et fait la promotion du cheval de trait Ardennais mis à l’attelage. Entre autres, il a participé à de nombreuses épreuves de relais d’attelage appelées les « Routes » : 3 Routes du poisson reliant Boulogne sur mer à Paris, 2 Routes du Jura, une Route de Bourgogne, une Route suisse, une Route suisse normande. Au cours de ces évènements, il excelle dans les spéciales de débardage et de traction chevaline. A de nombreuses reprises, il s’est classé sur les podiums de concours de débardage au cheval, en Belgique et à l’étranger.

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Jean-Paul est né dans le milieu du cheval de trait. Son père lui a enseigné les pratiques dès son plus jeune âge. « Je me souviens qu’à 8 ans j’allais débarder quelques bois avec un débardeur que mon père connaissait » évoque t’il.

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Le respect envers ses chevaux est à la hauteur de ses exigences envers eux. « Tu recevras de ton cheval, ce que tu lui donneras » affirme t’il. Et il ajoute « On peut être exigeant avec les chevaux mais on doit toujours les respecter ». Lorsque nous garnissons les chevaux au sortir du van, les deux chevaux de trait, me surprennent par leur légèreté et leur petite taille. Ils me blufferont par leur efficacité au cours de la journée. A aucun moment les deux chevaux n’ont puisé dans leur réserve. Dans les instants difficiles comme lorsque Pirou a perdu équilibre dans un fossé, Jean-Paul garde son calme et toute situation périlleuse trouve sereinement une solution. Comme il le souligne « Il faut garder son calme en permanence pour que les chevaux le gardent aussi ».

Précis au centimètre

Sur ce terrain remplis d’embuches, le meneur et ses chevaux évoluent stoïquement. L’attelage des deux chevaux en flèche (l’un derrière l’autre) prend tout son sens. Les chevaux, agiles, se faufilent d’un pas léger et habile entre les souches et les branches. Ils enjambent les canaux humides et hissent ensemble, plusieurs grumes en même temps, approchant les 2 mètres cubes de bois au total, jusqu’aux coupes feu. Ils cumulent leur force et gardent la légèreté et l’agilité requise. Les chevaux sont très sensibles aux ordres vocaux et le mors sollicite peu la bouche. Une fois à l’arrêt avec les grumes approchées du tas, deux ordres successifs affinent la position des troncs pour les aligner à la perfection : « Un pas » annonce le meneur pour faire avancer les chevaux d’une vingtaine de centimètres et « Centimètre » pour 5 à 6 cm de déplacement.

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Force, volonté et courage

Pirou, le hongre alezan de 13 ans, est issu d’un étalon F3 (Walki du Monty) et d’une mère mi Ardennaise/mi Hafflinger. Jolie, la jument baie de 6 ans, est issue de la sœur de Walki et a pour père le réputé étalon « Suédois Ardennais » du Centre Européen du Cheval à Mont Le Soie.

Attelée pour la première fois en tête de la flèche, Jolie éprouve encore certaines difficultés à harmoniser ses mouvements avec les ordres du meneur contraint d’élever la voix par moment. Rapidement, tout rentre dans l’ordre.

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Les yeux et les oreilles des chevaux dirigés vers le meneur: Prêts pour la prochaine consigne.

Les centaines de chevaux passés entre les mains de Jean-Paul pour les éduquer à de multiples utilisations ont amenés celui-ci à préférer des chevaux de trait légers, avec peu de fanons afin d’exclure tout risque de contaminations des membres. « Les chevaux d’élevage présentés aux concours sont des chevaux qui ne répondent pas à la demande » explique Jean-Paul, qui ajoute : « Il faut des chevaux de trait comme ceux utilisés autrefois en travaux agricoles, en débardage ou pour le transport. Ils étaient bien plus légers que ceux que nous présentent aujourd’hui les éleveurs. Ces chevaux d’élevage actuel ont des membres trop larges avec trop de fanons qui engendrent des gales irrémédiables qui peuvent aller jusqu’aux asticots qui provoquent des puanteurs ».

S’il est vrai que le programme Arattel du Stud book du Cheval de trait Ardennais a mis en place un protocole d’allègement de la race, il n’en reste pas moins, en effet, que seuls les chevaux relativement lourds, aux membres larges et étoffés de fanons très fournis sont primés aux concours officiels ; encourageant les éleveurs à poursuivre dans cette voie alors qu’une demande importante de chevaux ne va pas dans cette direction.

Valère Marchand

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